Extraits de « Thésée et la démocratie » de Matheo Alephis, joués par la troupe du Lien Théâtre en résidence au quartier de la Duchère.
EPISODE 2 – LE SYNOECISME
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Il enlève sa couronne de Roi. Stupeur.
Je vais sur le champ partir en cavale. Vous me verrez dans les bourgs, à la campagne, sur la côte. Partout où je pourrai rencontrer les grecs de l’Attique et tâcher de les convaincre de la solidité de mon plan. J’ai dit.
Il descend de la tribune. Les Ministres l’accueillent avec précipitation.
THESEE : J’ai une mission à accomplir, ne vous mettez pas en travers de ma route sinon vous risquerez cher.
MAGISTRAT 1 : Thésée, renoncer à votre couronne, ça ne s’est jamais vu.
MAGISTRAT 2 : Thésée, vous retirer de vos fonctions, c’est une grossière erreur, ça ne s’est jamais vu.
MAGISTRAT 3 : Thésée, un gouvernement sans roi, votre père serait outré, ça ne s’est jamais vu.
MAGISTRAT 2 : Abattre dans chaque bourg les prytanées, c’est de la folie, les magistrats et les familles finiront par se révolter.
MAGISTRAT 1 : Dans le prytanée se trouve le feu sacré qui ne s’éteint jamais, c’est de la folie.
MAGISTRAT 3 : Comment voulez-vous réunir tous les bourgs de l’Attique, c’est de la folie, c’est voué à l’échec.
Les voix se mélangent, brouhaha.
THESEE : ASSEZ ! ! !
Il les dévisage un à un, ils s’agenouillent au fur et à mesure que Thésée les foudroie de son regard.
HERAUT : Voici Thésée sur son cheval dans la plaine du Mésogée.
Il fait très chaud.
Thésée s’arrête près d’une fontaine pour boire. Puis il fait boire son cheval.
Voici Thésée qui arrive dans le bourg de Brauron. (à lire Braüron)
Pas une âme qui vive. Il fait très chaud.
Thésée descend de son cheval. Il est pris d’une forte envie de
THESEE : C’est bon, ferme-la.
Il peut éventuellement parler aux spectateurs.
Bonjour. Je suis Thésée. Vous ne me reconnaissez pas ? Non ? Pourtant il y a mon effigie sur toutes les monnaies. C’est moi Thésée, votre roi qui bientôt ne le sera plus, enfin on verra tout ça. Je fais moins jeune que sur le drachme ? Ah peut-être. Attendez laissez-moi entrer, ne fermez pas la porte. Je vois que vous êtes en train de sécher vos pots et vos cruches. C’est très joli ce que vous faites, vraiment, jolie céramique. Attendez ! Il m’a fermé la porte au nez çui-là. « Casse-toi bouffon ! », « Espèce de comédien ! », il m’a dit. Il a cru que j’étais un comédien déguisé en Thésée. C’est pas beau tout ça. Je vous jure, tuer un Minotaure c’est mille fois plus facile que de faire de la politique.
Eh vous monsieur, vous allez où ? Au travail mais où ? Dans un moulin à huile. Montrez-moi ce que vous faites. Cultivateur d’olives. Non non levez-vous, je n’aime pas ces génuflexions, je ne suis pas Zeus. Quelle chance, Androtion m’a reconnu et m’a reçu dans sa famille, alors qu’une douzaine de grecs m’ont rembarré avant lui. J’aurais pu faire autrement, mais je ne veux pas utiliser la méthode tyrannique, pas avec ces gens-là. Ils sont importants pour ce que j’ai à accomplir. Je veux être persuasif, juste et diplomate. Ce que je vous propose, c’est une entreprise magnifique Androtion – merci pour ce bon vin. Ici vous êtes des paysans, des cultivateurs ou des potiers. Vous habitez à Brauron depuis toujours, non ? Mais pourquoi vous faites la guerre à Tharicos, qui se trouve pas loin d’ici dans la Paralie, sur le littoral ? Alors que vous parlez tous la même langue, et vous êtes à deux pas d’Athènes. De la même façon, Marathon fait la guerre à Decelea. Decelea fait la guerre à Éleusis qui fait la guerre à Salamina. C’est pas nul ça ? Vous êtes de quelle tribu vous ? Hippothontis ? Léontis ? Kerropis. Alors moi je vous propose d’être tous ensemble. Vous pourriez vendre vos graines plus facilement partout en Attique, sans qu’il y ait tous ces péages partout. Une seule cité-État prospère, avec une grande frontière, les ennemis sont à l’extérieur. Ça vous plait non ? Vous n’avez rien à perdre. Rien à gagner ? Bien sûr vous avez tout à gagner. Ça vous dirait de venir à Athènes et de parler devant l’Assemblée ? L’égalité des droits ça vous parle ? Vous aimeriez soutenir votre cause en justice ? Pour vous ou pour votre tribu ? Vous serez écoutés. Ça s’appelle la démocratie. Vous pourriez vous exprimer librement, même contre un riche, ça vous plairait ?
Androtion a tout de suite réuni tous les villageois de Brauron, même ceux qui m’avaient fermé la porte au nez. Mon explication a plu à tout le monde et ils ont tous été d’accord de s’unir avec Athènes. Les magistrats du bourg ont eu du mal à avaler ça. Mais à la pensée qu’ils pourraient venir à Athènes pour défendre l’intérêt de leur territoire, ils ont fini par plier.
Je vous propose de voter à main levée. Êtes-vous d’accord oui ou non avec ma proposition ? C’est la première fois que ces gens votaient. Je ne vous raconte pas la lumière que j’ai aperçue au fond de leurs yeux.
Bon le plus difficile sera de convaincre les riches bien entendu. Allez j’ai tant d’autres bourgs à faire, avant de retourner à Athènes. Merci pour votre hospitalité. Merci. A très bientôt.
HERAUT : Voici Thésée à cheval.
Thésée retourne à Athènes après de longues semaines sur les routes.
Des hourras l’ont accueilli partout où il s’est arrêté.
Il fait très chaud. Très très chaud.
Un accident de char à l’entrée d’Athènes, au niveau d’Acharnes, lui fait perdre beaucoup de temps.
Thésée n’aime pas les bouchons.
Thésée boit à une fontaine. Ensuite il fait boire son cheval.
Enfin voici Thésée qui entre dans son palais royal. On nous dit qu’il a rendez-vous avec le riche aristocrate Clinias.
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EPISODE 3 – GUNAIKONITIS [1]
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PHULÔ : Chut ! Faites voir. Cette laine est rêche et inégale. Votre mère n’aimerait pas voir ça.
HIPPODAMIE : J’ai mal aux bras. J’en ai marre. Elle pleurniche.
PHULÔ : Ça ne sert à rien de pleurer
Il vous faut humecter les doigts plus souvent avec de l’huile
Sinon vous travaillez à perte Mademoiselle Hippodamia
Le kalathos doit rester plus proche de vous
Comme ça voilà.
Elle se met à plier de longs draps.
C’est un cadeau de la part de votre mère ne l’oubliez pas un cadeau
C’est ce panier qui fait de vous ce que vous devez être
Une bonne mère une bonne maîtresse de maison une bonne épouse
Ce panier rempli de laine t’accompagnera toute ta vie
Comme elle m’a accompagné moi
Dit votre mère
Tu garderas ce panier
Pendant ton mariage et jusqu’à ta mort
Il sera gravé sur ton monument funéraire
Alors prends bien soin de lui
Car c’est le sort de nous autres femmes
Voilà ce que dit votre mère
Alors ça ne sert à rien de pleurnicher.
HIPPODAMIE : Qu’est-ce qu’elle a maman ?
PHULÔ : Des maux de tête la pauvre sans arrêt des maux de tête
Le médecin lui a prescrit une coction à l’ail et une autre au vinaigre
L’esprit malin qui la visite n’en a cure du vinaigre
Alors je lui fais des fumigations de feuilles de laurier et des massages
Elle voudrait aller au sanctuaire d’Asclépios à Épidaure pour guérir pauvre Philotimia.
HIPPODAMIE : Je pourrais l’accompagner ?
PHULÔ : Sans doute pas.
HIPPODAMIE : Mais alors pourquoi notre père ne me laisse pas aller au sanctuaire de Brauron ?
Je l’ai supplié mais il ne veut pas pourtant je suis en âge d’y aller, non ?
PHULÔ : Je ne sais pas.
ALKIPPE : Est-ce que je peux sortir dans la cour ?
PHULÔ : Vous connaissez la réponse Mademoiselle Alkippe.
HIPPODAMIE : Toutes les filles de nobles vont au sanctuaire d’Artémis à Brauron.
ALKIPPE : Juste prendre un peu de soleil sous le figuier s’il te plaît.
PHULÔ : D’abord les travaux la cuisine le pain et après le repos.
ALKIPPE : Mais je travaille je ne fais que ça.
HIPPODAMIE : S’il veut que je devienne une vraie femme
Et que je mette au monde des enfants en bonne santé
Alors il faut qu’il me laisse aller à Brauron.
PHULÔ : Je ne sais pas Mademoiselle Hippodamie.
HIPPODAMIE : Je dois faire ce rituel à Artémis
Ce n’est pas juste je ne comprends pas !
PHULÔ : Vous croyez que je ne vous vois pas ?
Vous restez les yeux rivés dans le vide Mademoiselle Alkippe
Ou bien vous vous collez à la fenêtre
Il n’y a rien à voir puisque vous ne pouvez pas voir la rue
Vous avez travaillé votre musique ?
ALKIPPE : Oui j’ai travaillé la lyre le chant j’ai fait le calcul j’ai tout fait tout.
HIPPODAMIE : Menteuse.
PHULÔ : C’est bien maintenant vous filerez la laine comme votre sœur.
ALKIPPE : Je ne veux pas toucher à cette laine je ne veux pas
Tu es la propriété de mon père tu es notre esclave
Je ne reçois pas des ordres d’un chien
Tu n’es qu’un chien !
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[1] Gynécée, littéralement « place pour les femmes »